On observe quelques différences dans le déroulement du rituel entre les deux villages pourtant très proches l’un de l’autre : les garçons de Neirivue portent un képi et ne sont pas armés ; ceux de Villars-sous-Mont portent un bonnet et sont armés d’un fusil de bois.
L’origine de la pratique est assez énigmatique : selon plusieurs habitants du village, elle pourrait remonter à l’époque des guerres napoléoniennes, vers 1800. Elle pourrait également trouver son origine dans des parades plus anciennes.
De nos jours, les plus âgés se chargent chaque année d’apprendre le chant et les exercices aux plus petits. Leur motivation première est pécuniaire, puisque chaque enfant peut gagner jusqu’à 100 francs. Chacun a sa place : le chef, le tambour, le porte-drapeau et au moins un soldat. « Ils doivent être quatre au minimum. S’il n’y a que trois écoliers ou moins au village, le défilé ne peut avoir lieu » explique la maman d’un des petits soldats, organisatrice de l’événement en 2011. Le cas ne s’est que rarement produit. Et l’entrée dans la troupe est, à ce jour, réservée aux garçons : « Nous portons un fusil, pas une baguette de fée! » précise un des petits participants.
Compléments d'informations
Le défilé des petits soldats du Mardi gras en 1957 (Playsant Almanach de Chalamala, 1958) : « Les garçons s’assemblent, élisent leur capitaine, le porte-drapeau, l’adjudant, le tambour, le fourrier. Une semaine avant Carnaval, ils s’exercent sur les prés avoisinant le village. Et, l’après-midi du Mardi gras, la baïonnette paternelle au côté, le chef coiffé d’un bonnet de police, ils font l’exercice, au commandement d’un aîné, devant chaque logis. Ils lancent même un « feu de salve » au moyen de leurs fusils de bois. Armes inoffensives, munies à leur extrémité d’un projectile – de bois également – pincé entre deux lames de sapin et qui, la détente pressée, jaillit au bout de la ficelle qui le maintient. Puis, drapeau levé, au garde-à-vous, les gosses chantent « Beau Pays » de l’abbé Bovet. Tout cela avec un sérieux, une discipline, une musicalité exemplaire! Cependant que les moutards du village, cocassement atournés, rient sous leurs masques grotesques et composent un excellent public. Les petits sous tombent dru dans l’escarcelle du « fourrier ». A Neirivue, les écoliers sont pourvus uniformément d’un képi, glorieux vestige de la mobilisation 14-18, qui furent récupérés dans un arsenal. Et une pancarte proclame que la monnaie recueillie enflera le fonds de la course scolaire. Pacifiques, ici les figurants ne sont pas armés. »
Comme en témoigne une photographie prise à Villars-sous-Mont en 1957 par le Bullois Alphonse Derungs, les petits soldats simulent également un peloton d’exécution, les « condamnés » étant joués par d’autres enfants vêtus de déguisements.
D’aussi loin qu’Edouard Ecoffey, l’un des anciens de Villars-sous-Mont, s’en souvienne, l’usage fut respecté : « Mon père, né en 1898, participait déjà à ce cortège ». Une observation similaire est faite par les habitants dans une publication de 1958 : « A Villars-sous-Mont, la tradition s’est maintenue de temps immémorial. Si loin que remontent les souvenirs de M. Vial, instituteur émérite, et ceux des vieillards qu’il a connus, l’usage fut honoré. »
Pratiques similaires
Une pratique similaire était répertoriée dans les Grisons vers 1950 : les enfants de Danis-Tavanasa illustraient la venue des Rois en défilant en costume militaire dans le village.
La revue Folklore suisse (mars 1954) évoque la tradition carnavalesque des Brandons ou Bordes à Neuchâtel en ces termes : « Le premier dimanche de ce mois (mars), les bourgeois, portant manteau ou l’épée, se promenaient deux à deux dans les rues, après le culte du soir. Le lundi suivant, les enfants se promenaient avec leurs armes, et le mardi postérieur, les jeunes bourgeois âgés de plus de 14 ans répétaient le spectacle. »
A Estavayer, le défilé en uniformes est observé également mais il a lieu le 1er mai. Joseph Volmar, dans un opuscule consacré aux « Us et coutumes d’Estavayer », note que ce jour-là « les garçons ou 'sauvages' portent tous en sautoir des sonnettes et des grelots qu’ils agitent ordinairement après chaque couplet ; quelques-uns d’entre eux sont armés d’un vieux sabre et, détail assez curieux, ils sont tous invariablement coiffés d’un bonnet de police ».
Traditions plus anciennes dans le canton de Fribourg
Ces manifestations appartiennent aux différentes traditions qui accompagnent la période de carnaval, coïncident avec la fin de l’hiver et marquent le début d’un nouveau cycle. Du bas Moyen Age (XVe siècle) au XVIIe siècle, selon le calendrier chrétien, les mascarades du carnaval duraient de la fête des Rois (Epiphanie, fête fixe du calendrier chrétien, le 6 janvier) au Mardi gras (dernier jour de carnaval avant le carême, fête mobile du calendrier chrétien, en février ou mars). L’Epiphanie était marquée, pendant des siècles, par une « Fête des Fous » qui suscitait d’importants débordements, y compris à l’intérieur des églises. Les autorités de Fribourg édictèrent plusieurs défenses contre ces manifestations de liesse populaire, notamment en 1494 et en 1590. Châtel-Saint-Denis célébrait la « Sainte Folle » en 1598. A Bulle, en 1608, « come ça on avoient dansé en l’église chascun tenant prenant une femme ou fille à marier en main, et durant les vespres introduisant un saulvage garoté de chaines, qu’ils attachoient a divers colonnes, faignant des grandes et brutales insolences… ». À l’occasion des anciennes parades de l’Epiphanie, à Gruyères, plusieurs centaines d’hommes en armes étaient levés, jusqu’au XVIIIe siècle, pour accompagner les Rois Mages dans leur cortège.
Texte : Christophe Mauron
Pour aller plus loin
- Rauber, Priska, « Les petits soldats qui défilent depuis la nuit des temps ». La Gruyère 10.03.2011.
- Gremaud, Henri, Le Playsant Almanach de Chalamala, Bulle, 1958.
- Baumann Walter (texte), Wolgensinger, Michael (images) :Folklore Schweiz. Brauchtum, Feste, Trachten. Zürich 1979.