Paul Torche (1912–1990), conservateur
Il fréquente le Collège Saint-Michel, où il obtient le baccalauréat latin-grec, puis étudie le droit à l’Université de Fribourg. Président central de la Société des étudiants suisses pour l’année 1934–35. Il effectue un bref séjour dans une étude d’avocat à Baden, puis commence un stage dans l’étude de Maxime Quartenoud. Notaire à Estavayer-le-Lac dès 1937, il fut également agent du Crédit agricole de Domdidier. Membre des jeunes conservateurs, il est pressenti pour être candidat au Grand Conseil en 1936 déjà,mais il n’a pas encore atteint les 25 ans requis. Il doit donc attendre 1941 pour être élu, en première position, député de la Broye sur une liste commune conservatrice et radicale. Il accède à la première vice-présidence du Grand Conseil pour l’année 1946. Il est secrétaire de la Commission d’expropriation pour le lac de la Gruyère (1943).
Elu au Conseil d’Etat en 1946, il est placé à la tête de la Direction de la Santé publique et de la Police. Il lance la réforme hospitalière qui conduira à la construction d’un nouvel hôpital cantonal et fait adopter la loi sur la lutte contre la tuberculose (1951). Il est confronté à un conflit de travail entre le Dr François Ody (1896–1957), chef du service de chirurgie à l’Hôpital cantonal depuis 1940 et trois de ses collègues médecins. Ce conflit est exposé dans la presse, notamment dans L’Express de Neuchâtel. Un avis rendu le 24 avril 1951 par un groupe de médecins placé sous la direction du juge fédéral Louis Couchepin conclut à l’impossibilité d’une collaboration entre Ody et ses collègues. Il doit donc quitter ses fonctions. Lors d’une rencontre dans un établissement public, Ody critique violemment le Conseil d’Etat en présence de Torche qui n’entend pas discuter de cette affaire dans un tel lieu et en présence de tiers. Après avoir regagné sa place, Ody revient à la charge avec ses accusations et s’installe à la table du directeur de la Santé qui lui administre une gifle.
Dans le domaine de la police, il fait adopter une loi sur le cinéma et le théâtre (1949) et une loi sur les établissements publics, la danse et le commerce des boissons (1955). A partir du décès de Maxime Quartenoud en 1956, il donne sa pleine mesure à la tête de la Direction de l’Intérieur, de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce jusqu’à son départ du Gouvernement. Il est l’artisan de la loi sur les améliorations foncières et de la juridiction des prud’hommes. Son action favorise le développement économique cantonal, mais il attire l’attention sur les difficultés psychologiques de mettre les agriculteurs à l’usine. L’économie fribourgeoise n’est pas encore en mesure d’absorber l’excédent de la natalité. Pendant ses années au Gouvernement, on constate une diminution du secteur primaire qui occupe le quart de la main-d’oeuvre, alors que le secteur secondaire dépasse 40% (recensement de 1960). Homme d’action, Paul Torche est considéré comme l’auteur du miracle économique fribourgeois. Il change l’image de Fribourg, canton qui vivait en vase clos, en présentant un canton moderne lors de voyages de la presse suisse organisés par le Centre information et public relations du Genevois René-Henri Wüst. Il est un excellent ambassadeur de Fribourg, déclare son collaborateur Pierre Dreyer. Sa politique permet d’attirer quelque 65 entreprises dans le canton. Comme doyen du Gouvernement, il est appelé à répondre en 1958 à une interpellation de Louis Barras sur l’attitude de la presse romande après le suicide du préfet de la Broye Léonce Duruz, qui avait été élu juge cantonal contre Pierre Barras, candidat officiel du parti conservateur. Il est président du Conseil d’Etat en 1951, 1955 et 1960. Après le décès de Quartenoud, il apparaît comme l’homme fort du Conseil d’Etat.
Atteint dans sa santé et peu satisfait du climat régnant au sein du Gouvernement – un collègue lui reprochant même d’en faire trop ! – il démissionne avec effet au 31 mars 1966. Il estime que sa succession sera idéalement assurée par Pierre Dreyer, mais le parti conservateur-chrétien social décide de présenter la candidature du Gruérien Jacques Morard qui fut battu par le radical Paul Genoud. Paul Torche estime que le Bullois aurait dû attendre le renouvellement général de fin 1966.
Il est conseiller national de 1947 à 1954 (il rapporte notamment sur la loi sur l’agriculture de 1951), puis député au Conseil des Etats de 1954 à 1972. Il soutient avec succès une motion demandant la création d’un canal transhelvétique (voie fluviale entre le lac Léman et Bâle, du Rhône au Rhin) qui n’a pas de suite concrète. Il préside le Conseil des Etats en 1969–70. Sans être candidat, il obtint 85 voix lors de l’élection au Conseil fédéral qui vit triompher Roger Bonvin, en 1962, avec 142 voix au 5e tour. Son « grand dessein était cantonal », remarque François Gross. Sa qualité de Broyard le conduisait pourtant à voir par-dessus les frontières cantonales. Il établit des relations confiantes avec un autre Broyard, Jean-Pierre Pradervand, conseiller d’Etat radical vaudois et parlementaire fédéral.
Paul Torche est marqué par ses rencontres avec Pie XII, le général Guisan et Robert Schuman, figure marquante du MRP en France et l’un des pères de l’Europe qui est venu à Fribourg en 1949, après une visite officielle à Berne. A la demande de Hans Oprecht, président du parti socialiste suisse, il facilite le séjour à Greng, près de Morat, d’Henri de Man, un socialiste belge, condamné pour collaboration. Il a connu l’abbé Bela Varga, président du Parlement hongrois, issu du parti dominant des petits propriétaires, qui, chassé par les communistes, vécut un temps au monastère d’Hauterive, avant de s’établir aux USA.
Paul Torche préside le comité d’organisation du centième anniversaire du régime conservateur en 1956. Il préside avec dynamisme le Mouvement pour le suffrage féminin qui travaille à la révision de principe de la Constitution (votation de 1969). Il est président du parti conservateurchrétien social cantonal (aujourd’hui PDC) de 1966 à 1968, mais ne parvient pas à éviter la dissidence chrétiennesociale. Il est nommé sénateur honoraire de l’Université et a présidé les Amis de l’Université. Il obtient le titre de docteur honoris causa.
Il continue de manifester un vif intérêt à la chose publique pendant sa retraite qui le voit siéger dans quelques conseils d’administration (président de Nestlé, Société de Banque Suisse).
Il est capitaine dans l’armée et commandant d’une compagnie du régiment fribourgeois 7 pendant le service actif, puis promu au grade de major.
Extrait de : "Le Conseil d’Etat fribourgeois : 1848-2011"